VALLOUREC 2014
Une vieille industrie lourde prise dans la tourmente des exigences de rentabilité à court terme (publié sept 2015)
Vallourec est un groupe industriel plus que centenaire, longtemps ancré dans ses régions d’origine, le Nord et la Bourgogne.
Au cours des années 2000, les restructurations et les créations de filiales à l’étranger réduiront peu à peu cet enracinement national. Cependant l’importance des investissements encore effectués sur le territoire français, pour répondre aux besoins du nucléaire, permettra au Groupe de maintenir l’apparence de responsabilité et de citoyenneté. Sa politique de développement de l’actionnariat salarié accentuera ce caractère social.
Mais le « recentrage sur le cœur de métier », les fluctuations du prix du pétrole, l’accident de Fukushima, freineront la rentabilité des investissements et pèseront sur les résultats.
Malgré tous ces facteurs défavorables, les résultats resteront bénéficiaires, certes en baisse régulière et surtout loin du niveau espéré par les actionnaires.
Afin de justifier des mesures drastiques de réduction d’effectif en 2015 en France et en Europe, le groupe Vallourec s’attachera à présenter un déficit en 2014 par un simple jeu d’écriture « dépréciation d’actif » . Mais très curieusement, les actionnaires seront rassurés car pour eux, le résultat 2014 est présenté comme positif et des dividendes seront versés comme les années précédentes.
Les grandes disparités de résultats entre filiales pourtant localisées dans les mêmes régions, ainsi que les bénéfices dégagés dans les holdings ne permettent pas une analyse rigoureuse de la situation de chacune des filiales. Le sacrifice de l’aciérie de Saint-Saulve pourrait être un simple gage donné aux actionnaires.
Lire l'article completUne vieille industrie lourde française à l’heure de la mondialisation
L’invention par les frères Mannesmann, du procédé de fabrication de tubes en acier sans soudure sera à l’origine de la création en 1889 des usines Vallourec. Elles seront implantées dans deux zones de tradition industrielle, région du Nord de la France autour de Valenciennes et de Maubeuge et région Bourguignonne autour de Montbard.
Le Groupe traversera le vingtième siècle en se développant, investissant et s’adaptant aux évolutions du marché de l’énergie.
Au cours des années 2000, le groupe Vallourec ne cessera de se restructurer en procédant à des achats et ventes de filiales.
Les principales cessions seront effectuées en France. A titre d’exemple, en 2007 la société VPE ( 1200 salariés) sera vendue au groupe allemand Salzgitter , et les sociétés VPS (320 salariés) et VCAV (230 salariés)au groupe Arcelor Mittal, l’objectif affiché étant « le recentrage sur le cœur de métier »
Dans le même temps, des filiales étaient créées à Changzou en Chine et dans l’état du Minas Gerais au Brésil et d’autres acquises aux Etats Unis, en Amérique du sud et en Asie.
Cependant, Vallourec effectuera encore des investissements en France, dans ses régions traditionnelles avec l’acquisition de la totalité des parts de Valtimet (devenu Valinox Heat Exchanger) à Montbard et des investissements lourds dans Valinox nucléaire.
Pour l’ensemble du Groupe, sur les 10 dernières années, les effectifs seront en forte progression , passant de 17 285 salariés en 2005 à 23 064 salariés en 2014,. En 2014, le groupe Vallourec se considère « le leader mondial des solutions tubulaires premium destinées principalement aux marchés de l’énergie » avec plus de 50 sites de production dans 20 pays différents
Pour s’assurer de la motivation des salariés, ingrédient essentiel des performances, un plan de développement de l’actionnariat salarié a été mis en place en 2001, d’abord à un niveau national puis étendu à un niveau international et ainsi au 31 décembre 2014, près de 15 000 salariés, dans les treize pays concernés étaient devenus actionnaires et détenaient 7,61 % du capital social.
Et pourtant….
2005 – 2014 : la lente érosion des effectifs en France et en Europe
Malgré la hausse des effectifs pour l’ensemble du Groupe, ceux de la France et des autres pays européens (Royaume uni et Allemagne) seront pour la même période en diminution : une baisse de prés de 800 salariés.
Berceau historique du Groupe, la France n’emploiera plus que 22% des effectifs en 2014
Le jeu de Monopoly des années 2000 a eu raison de l’implantation nationale de cette vieille industrie lourde, mais aussi comme conséquence de rendre le Groupe plus vulnérable aux variations du prix du pétrole. En effet parmi les entreprises cédées, certaines étaient fournisseurs pour l’automobile, ce qui pouvait assurer une certaine répartition des risques.
En 2015, un coup d’accélérateur va être donné à cette lente érosion
29 avril 2015 : Annonce brutale d’une réduction de 2000 salariés en Europe
Le 29 avril 2015, Vallourec annonçait 2000 suppressions d’emplois en Europe. Pour la France, la réduction d’emplois concernerait 910 salariés.
La cession de l’aciérie de Saint-Saulve (Nord), ferait sortir 460 salariés du groupe.
Des « plans sociaux » dans les autres unités de production, ferait disparaître 550 salariés
Concernant la cession, l’inquiétude est grande, puisque jusqu’à présent, le seul repreneur serait le groupe Ascometal, tout juste sauvé de la faillite il y a un an.
Pour justifier cette décision la Direction invoque le mauvais résultat 2014 et la baisse du prix du pétrole, mais on peut se poser des questions sur les véritables raisons
Apparemment la diminution des effectifs ne concernerait que l’Europe, on peut, alors, s’interroger sur une éventuelle stratégie de délocalisation de l’activité vers les pays à bas salaires. Cette question se pose d’autant plus que dans le document de référence 2014, les différentiels de coût des salariés sont mis en évidence.
Comptes consolidés et évolution sur 10 ans
En 10 ans, le chiffre d’affaires du Groupe a progressé de 32% pour atteindre 5,7 milliards € en 2014.
Et si les résultats n’ont pas suivi cette même évolution, ils sont restés positifs sur toute la période, malgré un contexte défavorable et de lourds investissements
La baisse du prix du pétrole, et les répercussions de l’accident nucléaire de Fukushima n’ont pas permis de rentabiliser aussi rapidement que prévu les investissements effectués à la fin des années 2000.
La présentation d’un résultat déficitaire en 2014 (-924 millions €), est liée à des « jeux d’écriture », dénommés dépréciation d’actif, comme précisé en p 42 du document de référence
« Vallourec a comptabilisé une dépréciation de ses actifs pour un montant de 1 104 millions d’euros, principalement attribuable à l’unité génératrice de trésorerie (3) (UGT) intégrée de Vallourec & Sumitomo Tubos do Brasil (VSB) (522 millions d’euros) et à l’UGT de Vallourec Europe (539 millions d’euros). Ces dépréciations comprennent des dépréciations pour perte de valeur des actifs industriels amortissables à hauteur de 900 millions d’euros et des dépréciations d’écart d’acquisition pour 204 millions d’euros »
La technicité de l’explication la rend opaque. Pour rassurer l’actionnaire, une autre notion de résultat est spécialement créée en 2014, « résultat net consolidé ajusté », qui est positif de 239 millions €.
Pour les actionnaires, le résultat est positif, pour les salariés il est négatif
Le capital et la rémunération de l’actionnaire
Dans chaque document de référence, il est réaffirmé que
« la politique de dividende de Vallourec, approuvée par le Conseil de Surveillance lors de sa réunion du 17 avril 2003, est de viser sur une longue période un taux moyen de distribution de 33 % du résultat net Consolidé part du Groupe »
Sur les 10 dernières années, ce taux moyen est de 40%, bien supérieur au principe de base.
En outre ces résultats représentent 50% du capital investi (niveau 2014) et les dividendes constituent une rémunération de 20% en moyenne de ce même capital
Sur les résultats 2014, les actionnaires percevront eux leur dividendes, d’un montant de 106 millions €, légèrement supérieur à celui de l’année précédente
L’actionnariat n’a pas été pénalisé par la baisse des résultats, et encore moins par la « dépréciation d’actifs »
Le travail et la rémunération : une moyenne disparate
Selon le document de référence 2014, le « coût » annuel d’un salarié en Chine est de 18 570 €, au Mexique de 28 540 € au Brésil de 31 380 €, de 68 520€ pour la France, de 69 630€ pour l’Allemagne, de 73 580€ pour le Royaume uni, et de 83 520 € aux USA
Mais attention aux écarts à la moyenne qui pourraient bien masquer d’autres inégalités
Par exemple en France, les salaires mensuels des dirigeants sont pour le président du Directoire de 2 millions €, pour le directeur général et le directeur financier de 1 million €.
Les filiales et les différentiels de rentabilité : des données complexes à analyser
L’aciérie de Saint-Saulve est un des 14 établissements regroupés dans la filiale Vallourec Tubes France. Les comptes de cette entreprise font apparaître à partir de 2009, des déficits importants. Mais ce sont les investissements réalisés en 2008 qui génèrent des charges d’amortissement très lourdes, qui impactent le résultat.
Parmi les autres filiales françaises, plusieurs d’entre elles sont aussi lourdement déficitaires alors que d’autres sont largement bénéficiaires. Par exemple dans la région de Montbard, Valinox heat Exchanger tubes connaît des déficits importants sur les 3 dernières années, alors que Valinox nucléaire dégage des bénéfices tout aussi importants
Dans le Nord, les résultats de Vallourec Oil and Gas sont très largement positifs, autour de 20 millions €
Ces différentiels de rentabilité sur un même territoire ne peuvent être liés au « coût « du travail mais ont d’autres causes.
En outre l’analyse des comptes des holdings révèle une situation financière positive
La holding Vallourec tubes a, en 2014, reçu de ses filiales, un montant de 450 millions € de dividendes et sans la « dépréciation d’actifs », elle serait bénéficiaire
Une autre holding française située à Boulogne Billancourt, Valinox Service possède une filiale Vallourec One qui en 2014 a dégagé un bénéfice de 148 millions €, à partir de dividendes reçus.
Deux constats :
La seule analyse réellement pertinente est celle du résultat consolidé du Groupe, resté positif sur au moins les 10 dernières années.
Dans l’industrie lourde, les exigences de rentabilité de court terme des actionnaires rentrent en contradiction avec la rentabilité de long terme.
Sources
- Documents de références 2006 à 2014
- Comptes financiers des entreprises citées
- articles de presse : les échos 18 juin 2015, Usine nouvelle, 7 avril 2015, 24 juin 2015, Parisien 23 juin 2015
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