KEOLIS 2014
Délégation de Service Public, État actionnaire majoritaire et pratiques... (publié sept.2015)
Avec une activité de service public et un actionnaire à 70% public par le biais de la SNCF, KEOLIS se devait de montrer l’exemple avec un objectif de service aux usagers et un strict équilibre des comptes.
Que nenni ! Précisons d’abord que 30% du capital de KEOLIS est détenu par un fonds de pension canadien exigeant une bonne rentabilité de son capital.
La taille du groupe, avec ses très nombreuses implantations en France, et à l’étranger constitue déjà un élément de complexité, mais ce sont surtout les relations financières entre les filiales et la maison mère qui posent question : les transferts de ressources empruntent des voies détournées, multiples…
Certaines filiales sont systématiquement déficitaires, comme celles de Lille ou Bordeaux, ce qui n’empêche nullement Kéolis de présenter sa candidature et de se féliciter du renouvellement de la délégation dans ces villes : esprit d’abnégation ou déficit artificiel ?
D’autres filiales seraient très largement bénéficiaires, si par un artifice juridique très astucieux, les excédents n’étaient prélevés « à la source » , ne laissant apparaître en final qu’un strict équilibre des comptes.
Mais les actionnaires, eux sont rassurés : la Holding qui ne vit que des facturations faites à ses filiales et des dividendes prélevés dégage des résultats conséquents permettant d’assurer un haut niveau de rentabilité du capital investi et de distribuer des dividendes très attractifs.
La générosité de ce groupe avec ses actionnaires est-elle compatible avec la gestion de service public car elle ponctionne les finances des collectivités locales ?
Lire l'article completUn groupe titanesque pour un service public
Par le nombre de réseaux gérés : En 2014, en France , Keolis gère 91 réseaux urbains et 75 en interurbain. A l’international, Keolis est présent dans 14 pays.
Par les nombre de salariés : un effectif moyen de 49 831 salariés, dont 42 143 employés, ouvriers, chauffeurs, 5 919 agents de maîtrise, techniciens et 1 769 cadres
L’activité de transport urbain ou interurbain est exercée le plus souvent en délégation des collectivités locales. Dans ce contexte, si un tiers des recettes provient des ventes aux usagers, les deux autres tiers sont constitués par les subventions des collectivités. Celles-ci sont, en partie ou en totalité, financées par le versement transport, taxe payée par les entreprises.
Dans la plupart des conventions de délégation de service public, outre la subvention,c’est la collectivité locale qui finance les investissements, bus, tram, aménagement …Keolis n’assure que la gestion, limitant ainsi le montant des capitaux à investir
Avec une structure pyramidale à 4 niveaux
A la base les filiales de production, et de services au Groupe
Au 2ème niveau une maison mère Keolis SA où est regroupée la quasi-totalité des cadres du Groupe
Au 3ème niveau, une maison mère ultime, Groupe Kéolis SAS, qui possède aussi le groupe Effia (parking)
Au dernier niveau, deux actionnaires , SNCF pour 70% et la Caisse de Dépôt et Placement du Québec pour 30% (fonds d’investissement canadien)
Relations de gouvernance d’une grande simplicité
La gouvernance paraît à priori assez simple, les agents de maitrise, les employés, les chauffeurs et les ouvriers sont salariés dans les filiales de production et les cadres le sont dans la maison mère Keolis SA. Cette répartition présente une certaine logique, les cadres étant appelés à une grande mobilité.
Relations financières d’une grande complexité
Les transferts de ressources des filiales vers la maison mère empruntent des voies détournées, multiples et parfois opaques.
L’analyse des résultats de filiales laisse, en effet, perplexes
Des résultats disparates et de nombreux déficits structurels dans les filiales françaises
- 65 filiales environ présentent des résultats positifs , supérieurs à 100 000 €
- 45 filiales présentent des résultats faiblement positifs, inférieurs à 100 000 €
- 56 filiales présentent des résultats déficitaires, dont certains atteignent 14 millions €
Les plus gros bénéfices (supérieur à 1 million €) sont réalisés dans les réseaux interurbains, tels les Courriers d’Ile de France, Kéolis Atlantique, Autocars Planche…, un seul réseau urbain (Kéolis Caen) rentre dans cette catégorie
Les plus gros déficits (supérieur à 1 million €) sont réalisés dans les réseaux urbains, telles les villes de Bordeaux, Lille, et dans deux réseaux interurbains , Kéolis Centre et Kéolis littoral.
Comment un groupe peut-il accepter une telle proportion de filiales en déficit ? Cela est d’autant plus étonnant que dans les rapports annuels , la problématique des déficits n’est jamais abordée.
Trois exemples laissent rêveurs : Bordeaux, Lyon et Lille
Dans le rapport annuel 2013, il est annoncé la candidature de Keolis à l’appel d’offre pour le renouvellement du réseau de Bordeaux, « De nombreux défis nous attendent avec, notamment, la finalisation d’appels d’offres d’envergure: le renouvellement du réseau de Bordeaux »
Et dans le rapport 2014, le renouvellement du contrat Tbc à Bordeaux est considéré comme une grande victoire« ce réseau phare du Groupe va devenir le plus grand réseau de tram français ».
Pourtant à fin 2013, les déficits cumulés de Kéolis Bordeaux atteignent 13 millions €
Est-ce un sens aigu du service public que de vouloir conserver des réseaux déficitaires ?
Le réseau de Lyon est présenté en ces termes « Opérateur historique de ce réseau hors norme (plus grand contrat de délégation de service public dans les transports urbains en Europe), Keolis a accompagné ses mutations et en a fait un véritable laboratoire d’expérimentation et d’innovation »
Est-ce l’amour de l’innovation qui fait oublier les déficits importants (39 millions € de déficits cumulés à fin 2013), est on face à des chercheurs qui n’ont de souci que le progrès pour l’humanité ?
Comment un fonds d’investissement canadien pourrait-il accepter de ne pas optimiser la rentabilité en se séparant des branches déficitaires ?
Quant à Kéolis Lille, le déficit de 14 millions € en 2013, ne semble pas émouvoir les dirigeants qui n’y font aucune allusion dans leur rapport annuel et n’envisage, officiellement, aucune mesure pour revenir à l’équilibre
Par contre la maison mère qui n’a aucune activité propre et dont les recettes proviennent exclusivement des services facturés aux filiales, dégage des résultats « confortables » de plus de 25 millions € chaque année.
Les distributions de dividendes sont d’un montant strictement identique chaque année : 19 millions €, pour un capital investi de 46 millions €, ce qui représente un taux rémunération de 41%. Est-ce bien normal pour une délégation de service public ?
Et pour l’ensemble des filiales, françaises et étrangères, inclus la maison mère, les résultats des comptes consolidés révèlent aussi une bonne santé financière
Entre 2013 et 2014, le chiffre d’affaires passe de 4,9 milliards € à 5,3 milliards € et le résultat passe de 8,8 millions € à 13,6 millions €
La coexistence de déficits des uns et de bénéfices des autres , en particulier ceux de la maison mère laisse entrevoir un système bien rodé de transfert des marges
Les différents canaux de transferts financiers des filiales vers la maison mère
La voie normale , celle des dividendes versés par les filiales de production bénéficiaires, par exemple les Courriers d’ile de France ont versé un dividende de 2,2 millions € en 2013
La 2ème voie prend le chemin des facturations (surfacturations ?) en tout genre, par la maison mère ou par des filiales créées à cet effet pour facturer des prestations de services : conseils en ingénierie, des formations … : Aerosat, Kéolis Conseil et projets, Transétude , Institut Keolis.
Et ces filiales dégagent des bénéfices, ainsi en 2013 le résultat d’Aerosat est de 1,3 million €, celui d’Institut Keolis de 1,2 million € , résultant de transfert de marges.
La 3ème voie est un tunnel par lequel transitent les résultats d’exploitation des filiales, c’est une pratique peu courante mais légale si le montage juridique est correct : en 2014, c’est 9 millions € qui sont passés sous ce tunnel dénommé « bénéfice transféré »
De nombreuses filiales sont sous ce régime : Agen, Angers, Cahors, Dijon, Chaumont, Grand Tarbes, Laval, Lorient …..
Il s’agit des filiales dont les résultats sont proches de zéro, du fait d’un transfert à la source
Dans ces conditions obscures, il est difficile d’analyser le résultat d’une filiale sans connaitre en détail toutes les relations financières de la filiale avec la maison mère.
Quelles conséquences et pour qui ?
Cela n’a pas d’incidence sur l’impôt sur le bénéfice puisque la maison mère paie ses impôts en France.
Pour les salariés, il y a fort à parier que l’argument du déficit pèse lors des négociations salariales. Cependant leur participation au résultat ne semble pas affectée par les déficits (accord de participation groupe?)
Mais ce qui est sûr, c’est la ponction imposée aux collectivités locales, par le biais de la délégation de service public. Est-ce pour cela que les transferts empruntent des voies détournées
La ponction sur les collectivités locales
Rappelons que les 2/3 des ressources des filiales proviennent des collectivités locales, et que les dividendes versés par la maison mère aux actionnaires vont à 70% à l’Etat par le biais de la SNCF, n’est-ce pas une façon d’opérer des prélèvements sur les collectivités au profit de l’Etat ? La question reste posée
En outre 30% de ces dividendes vont au privé, le fonds d’investissement canadien.
Conclusions : Délégation de service public ou gestion directe en Régie ?
Si au lieu de déléguer le service de transport à une entreprise, fut elle à capitaux publics, les collectivités locales le géraient en direct, elles feraient, dans la plupart des cas, de sacrées économies !!!
Ou pour le moins, les contrats de délégation pourraient être plus contraignants sur les transferts financiers.
Rappelons que, dans la plupart des cas, c’est la collectivité qui assure le financement des investissements et que c’est elle qui apporte le capital, mais ne perçoit aucune rémunération.
Quant à l’utilisation du CICE de 48 millions €, d’après le rapport annuel 2014
« Le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE) ayant pour objet le financement de l’amélioration de la compétitivité des entreprises est affecté à la reconstitution du fonds de roulement »
ce qui signifie, en langage de non spécialiste qu’il sert à alimenter la trésorerie et des placements financiers.
Sources
- Comptes financiers 2013 et 2014 des entreprises citées
- Rapports annuels 2013 et 2014
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