CAMIVA et les camions de pompiers
Une entreprise de sécurité des biens et des personnes sacrifiée par le groupe FIAT IVECO (publié nov. 2015, actualisé mars 2016)
Fiat Iveco est un groupe aux ramifications inextricables, se restructurant en permanence selon les lubies de quelques dirigeants qui, un beau jour, décideront de balayer d’un revers de la main la petite entreprise Camiva, après l’avoir dépecée de son savoir-faire.
Jusqu’au milieu des années 2000, Camiva assurait son indépendance et sa pérennité par une grande diversité de produits, camions feux de forêts, d’aéroport, grandes échelles … et par une clientèle composée de collectivités publiques, en France et de structures étatiques à l’étranger et ceci sur tous les continents.
Mais peu à peu, le groupe Fiat Iveco lui interdira tout investissement nouveau, tout recrutement en CDI, et la spécialisera dans des productions à faible valeur ajoutée, transférant les bonnes activités en Allemagne et en Italie.
Puis ce sera au tour de la gestion commerciale d’être centralisée par le Groupe, ôtant ainsi à Camiva toute maitrise de sa clientèle.
Et pour finir, en 2011, Camiva sera contrainte de vendre ses camions par l’intermédiaire de la filiale italienne et le faible niveau des prix de transfert permettra de faire apparaitre un gros déficit, justifiant ainsi un arrêt total de la production et un plan de licenciement pour 129 salariés sur un effectif total de 170 salariés. Que l’entreprise ait toujours été bénéficiaire au cours des 25 années précédentes n’infléchira pas la décision de fermeture du site.
Au contraire le cynisme et le mépris ne connaîtront pas de limites aussi bien vis-à-vis des salariés que des collectivités locales.
Et voilà la triste fin d’une entreprise assurant la sécurité des biens et des personnes, une perte importante pour l’économie locale et nationale.
Du nouveau en 2016 : selon France Bleu Pays de Savoie (17 mars 2016)
L’ancien site de Camiva devrait être réhabilité et permettre la création de 300 emplois :
– 200 emplois dans 3 entreprises : extension du site voisin de Schneider électrique, implantations de la Société Escoffier (recyclage de déchets industriels) et de l’enseigne Ekosport (vente de matériel de sport d’hiver sur internet).
– 100 emplois dans des petites entreprises artisanales et de services : la construction et la commercialisation des locaux seront assurées par l’agglomération de Chambery métropole.
Création de Camiva
Créée en 1970 à Chambéry, la société Camiva (Constructeurs Associés de Matériels d’Incendie, Voirie et Aviation) a une activité d’équipementier pour véhicules spéciaux, en particulier les camions de pompiers.
Jusqu’en 1997, la société Camiva fait partie du groupe Renault Véhicules Industriels.
En 1998, Camiva sera racheté par FIAT Iveco et devient une composante de sa filiale IVECO Magirus, spécialiste mondial du matériel de lutte contre l’incendie.
Des atouts considérables
Une indépendance liée aux caractéristiques de ses produits et de sa clientèle.
Une gamme de produits très diversifiée : véhicules feux de forêt, grandes échelles, véhicules d’aéroport, véhicules spéciaux telles que les navettes tunnel et véhicules de maintien de l’ordre.
Un potentiel de clientèle très large : vente en France ou à l’étranger, vente aux collectivités publiques ou aux entreprises privées.
Sur les 10 dernières années, cette dualité de clientèle, France et Export, a permis de soutenir le chiffre d’affaires, une baisse en France, liée à une mauvaise conjoncture, était compensée par une hausse des ventes à l’international.
Une assise solide
En 30 ans, un seul changement d’actionnaire et une appartenance à un Groupe industriel, avec des activités similaires ou complémentaires.
En 30 ans, une même direction d’entreprise, stable et attachée à son entreprise.
Et sur les 25 dernières années, des résultats constamment bénéficiaires.
Bien évidemment, l’actionnaire rémunère son capital mais sans mettre l’entreprise en péril : les dividendes distribués seront de 3 millions € en 2002, et de 2 millions € en 2008, pour un capital investi dans l’entreprise de 2,3 millions €. Les résultats restent donc en grande partie en réserve dans l’entreprise et l’endettement est nul.
Cependant, des menaces pesaient déjà sur l’avenir de l’entreprise : l’investissement est faible et le niveau de recrutement quasiment nul du fait d’une opposition systématique de l’actionnaire. La sous-traitance et le recours au personnel intérimaire constituaient la variable d’ajustement.
A partir de 2008, accumulation de sombres présages
L’intégration de Camiva au Groupe Iveco Magirus s’intensifie et se traduit par la perte de son indépendance.
Un premier signe à portée symbolique : le changement de dénomination, Camiva devient IVECO MAGIRUS Fire Fighting Camiva, avec un nouveau logo.
Mais beaucoup plus graves seront les décisions prises par le Groupe Iveco Magirus.
2008 : Perte de la diversification des produits
En 2008, la production de chacune des filiales sera spécialisée : les échelles seront produites en Allemagne, à Ulm et les véhicules d’aéroport en Italie, à Brescia.
Et pour Camiva, la production sera concentrée sur les véhicules feux de forêt, véhicules urbains et ruraux et sur quelques véhicules spéciaux , Véhicules Intervention Tunnel, Navette Évacuation Tunnel, Véhicule Maintien de l’Ordre.
Dans cette opération, Camiva sera doublement pénalisée, non seulement l’entreprise perd sa diversification mais sera très défavorisée dans le partage : les véhicules de feux de forêts consistant en des opérations d’assemblage et de montage, ne nécessitent que peu de savoir faire et dégage une faible marge, alors que les échelles et les véhicules d’aéroport sont à forte valeur ajoutée.
2009/2010 : Perte de l’autonomie commerciale
A partir de 2009/2010, le Groupe décide de mener la politique commerciale pour l’ensemble des filiales, supprimant toute relation commerciale directe de Camiva avec sa clientèle.
Très curieusement, la répartition de la clientèle ne sera pas en cohérence avec la spécialisation de production. Par exemple la filiale italienne pouvait se voir attribuer une vente des véhicules de feux de forêt qu’elle devait alors acheter à Camiva. Et on peut bien se poser la question si la finalité de cette stratégie n’était pas alors une politique de transfert de marge.
Fin 2010 : Départ du directeur historique
Avec le départ à la retraite du directeur très investi dans les réseaux locaux, nationaux et internationaux, c’est le dernier rempart de Camiva face au groupe qui s’effondre.
Année 2011 : mise en place des conditions de la fermeture
Le groupe a cette fois ci les mains libres pour appliquer sa stratégie : pour une grande partie de ses ventes, Camiva devra passer par l’intermédiaire d’une autre filiale du groupe. Le chiffre d’affaires s’effondre et pour la première fois depuis 25 ans, l’activité sera déficitaire.
7 mai 2012 : annonce de la fermeture de Camiva
Les raisons invoquées
L’organisation de la division Fire Fighting sur 6 sites serait génératrice de coûts trop importants : pour préserver la compétitivité du Groupe, il fallait supprimer plusieurs sites (Chambéry, Weisweil en Allemagne, Görlitz et Gaz en Autriche) et concentrer la production à Ulm en Allemagne.
L’activité de Camiva n’était pas rentable, pour preuve son déficit en 2011 et sa trop grande spécialisation.
Et la réalité des faits
Toutes ces raisons ne résistaient pas à l’examen des faits, les résultats étaient bénéficiaires à tous les étages du Groupe, véritable système de poupées russes : Camiva faisait partie de la division Fire Fighting, celle-ci était intégrée au groupe Iveco, lui –même composante du groupe Fiat Industrial . La complexité de ses montages et leur opacité permettaient de brouiller les pistes.
Et si on s’en tient aux seuls résultats de l’ensemble, c’est-à-dire le Groupe FIAT Industrial, on constate une progression fulgurante : entre 2010 et 2011, le résultat pour l’ensemble du passé de 378 millions € à 701 millions €, soit une hausse de 85%.
La fermeture de Camiva est une décision stratégique dont les raisons ne tiennent pas à des difficultés de compétitivité.
Le déroulement de la procédure
La procédure, dite de « plan de sauvegarde de l’emploi » fut très rapidement mise en place mais son déroulement sera constamment freiné. Camiva était un fleuron de l’industrie chambérienne, la mobilisation des salariés, le soutien de la population et l’intervention des élus locaux seront particulièrement importants. De même, l’abondance des articles de journaux, d’émissions de télévision témoigne de l’impact local mais aussi national de cette fermeture.
Mais la Direction d’IVECO se montrera intraitable, voire même cynique comme en témoigne le titre de cet article paru dans l’Usine Nouvelle du 18 octobre 2012, traitant les salariés comme des gamins en récréation :
« Dominique Dexant, directeur général d’Iveco Magirus Camiva : « Il faut siffler la fin de la partie » »
La fermeture définitive s’échelonnera sur 2012 et 2013
La suite en 2015
Le groupe IVECO vendra les 5 ha de terrain qui appartenait à Camiva, 4 ha à deux entreprises qui devraient s’installer et 1 ha à l’agglomération de Chambéry. Quel en sera le bénéfice pour Iveco, une fois déduits les frais (800 000 €) de démolition des bâtiments existants ?
Un chantage à l’emploi pour des aides publiques
Dans le plan de fermeture, il était prévu de garder 40 emplois pour assurer les ventes des camions produits en Allemagne mais surtout pour effectuer leur « customisation » (adaptation de l’équipement aux spécificités françaises).
Non contente d’avoir supprimé 129 emplois, la Direction d’Iveco posera ses conditions pour le maintien des 40 emplois sur le bassin chambérien : la collectivité devra construire un nouveau bâtiment pour le lui mettre à disposition par le biais d’une location. Ce sera effectif en 2015, avec un terrain est de 12 200 m2 (dont 4465 m2 couvert)
Ce recours à l’aide publique paraît quelque peu provocateur après la destruction d’un fleuron de l’industrie locale et la perte de 129 emplois.
La situation en fin d’année 2015
Il est prévu que deux entreprises viennent s’installer, créant 110 emplois sur l’ancien site.
Le bilan des reclassements des salariés est le suivant : sur 110 anciens salariés inscrits à la cellule de reclassement, 37 ont trouvé un emploi dont 27 en CDI, 6 en CDD et 4 en création d’entreprise .
Pour les autres, ce sont des formations qualifiantes (9), l’attente de la retraite (35 salariés à moins d’un an de la retraite),et pour les autres (22) , on ne sait pas car ils ne viennent plus à la cellule de reclassement.
Peut-on considérer qu’au bout de 2 ans ces reclassements soient satisfaisants : 27 CDI pour 110 CDI ? L’appréciation doit être pour le moins nuancée.
Quant aux créations d’emploi par les deux entreprises, attendons qu’elles soient effectives pour participer au satisfecit des élus locaux et de la Direction de Camiva.
Sources
Comptes financiers 2001 – 2011
Articles de presse :
Usine nouvelle 17/10/2012, 20/10/2012 ,23/1/2015
Dauphiné libéré, 10/5/2012, 22/5/2012, 25/9/2012, ……
Le Progrès du 15/5/2012, les Echos du 16 mai 2012
Journaux télévisés :
TF1 : Le 20h du 29 mai 2012
France 3 Régions du 20 septembre 2012
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